Parcourir des milliers de kilomètres pour collectionner des astuces magiques

Rédigé par Andrea deBruijn

À l’été 2023, je suis partie de Sackville au Nouveau-Brunswick dans ma voiture chargée de bagages pour me rendre dans l’ouest du Massachussetts. J’étais invitée à une résidence d’artiste chez Zea Mays Printmaking, un atelier d’estampe qui préconise des méthodes d’impression sécuritaires et durables. Grâce au soutien d’une subvention d’artsnb, j’ai passé deux semaines à Zea Mays et entamé la réalisation d’un nouveau corpus d’œuvres à l’aide de la technique de gravure photopolymère. Ce type de gravure implique que l’image provient d’une plaque gravée. La gravure photopolymère est une méthode de gravure plus sécuritaire que les méthodes traditionnelles, car on se sert de l’eau au lieu d’un acide fort pour préparer la matrice d’impression.

Même si j’avais déjà brièvement expérimenté avec cette technique, mon séjour chez Zea Mays m’a permis de me retrousser les manches et de vraiment la pratiquer. La directrice de l’atelier et les autres artistes m’ont fait part de conseils bien utiles sur la gravure sur film photopolymère. J’ai appris qu’un rouleau mousse peut être utilisé pour absorber l’eau sur la surface de la plaque après son développement, pour éliminer des taches qui ont tendance à marquer l’image imprimée. Pour une mordue de l’estampe comme moi, ça valait la peine de conduire des milliers de kilomètres et de traverser des frontières internationales juste pour recueillir ce truc magique. Cela peut signifier la réussite d’une œuvre complétée, au lieu de déboires techniques sans fin.

J’ai réalisé mon projet de résidence en prenant comme point de départ de mon imagerie des pochoirs de papier d’une précédente série d’estampes. J’ai numérisé ces pochoirs et modifié leur échelle avec Photoshop pour créer de nouvelles compositions, puis aboutir à des estampes polymères. Mon intention était d’explorer la notion de « recyclage » en transformant les rebuts d’anciens projets en sujets de nouvelles œuvres. Je voulais voir comment ce processus illustrerait un engagement non seulement pour des pratiques matérielles durables, mais aussi pour une démarche mettant de l’avant l’aspect cyclique et régénérateur de la création.

J’ai continué de travailler à partir des plaques que j’ai préparées chez Zea Mays, perfectionnant à la fois les images et mes habiletés en impression. La taille-douce photo est une technique très exigeante qui comporte de multiples étapes nécessitant chacune un souci du détail. Ce n’est pas un médium qui tolère les raccourcis. Les erreurs sont habituellement très évidentes et détournent l’attention de l’œuvre finale, alors j’en déduis que c’est payant d’être méticuleuse. Si la frustration est inévitable, la fois où les astres s’alignent, c’est une vraie bouffée de dopamine quand on lève le papier de la plaque pour révéler une impression parfaite. Savoir ce que je peux accomplir en persévérant et en m’appliquant, c’est un des aspects les plus gratifiants de mon travail en estampe.

Depuis la fin de ma résidence, j’ai commencé à expérimenter une autre technique d’estampe, soit la sérigraphie monotype. On ne saurait trouver technique plus différente du processus lent et rigoureux de la gravure photopolymère. La sérigraphie traditionnelle est réalisée à partir d’un pochoir comme matrice de reproduction de l’image. Dans le cas des monotypes, j’applique de la peinture librement sur une soie vierge et je me sers d’une raclette pour transférer l’encre sur le papier. Chaque estampe monotype est différente. Le processus a un ressenti souple et ludique puisque si un résultat ne me plaît pas, ce n’est pas grave, je ne pourrais jamais reproduire cette image de toute façon. C’est inutile de me laisser obséder par un résultat que je n’aime pas, je dois juste le mettre de côté et continuer. J’aime beaucoup le fait que l’estampe permet tellement de manières différentes d’habiter l’élan créateur. Avec une technique, je m’exerce à la précision et au contrôle, tandis qu’avec une autre, j’exprimer ma spontanéité et mon exubérance.

L’estampe est importante à mes yeux parce que je la vois comme un geste de résistance à l’idéalisme de l’efficacité, la productivité et la commodité qui domine si fortement au sein de notre culture de plus en plus numérisée. Contrairement au travail à l’ordinateur, il faut beaucoup de temps pour composer au plomb manuellement, graver une plaque à l’acide ou tailler une pierre et ensuite l’imprimer soi-même. Bien que les techniques d’impression analogiques comme la typographie, la lithographie et la sérigraphie aient été élaborées pour accélérer la diffusion de renseignements et la reproduction d’images, aujourd’hui, ces procédés me permettent d’habiter un espace d’inefficacité intentionnelle. Cela m’oblige à ralentir, à porter attention et à cerner les limites de la réalité matérielle pour m’en réjouir.

J’aimerais remercier artsnb pour son soutien à mon séjour chez Zea Mays Printmaking grâce au programme Artiste en résidence. Je veux aussi remercier Zea Mays pour son soutien sous la forme d’une subvention méritoire de résidence d’artiste.


Andrea deBruijn est une artiste installée au Nouveau-Brunswick dont la pratique gravite autour de l’estampe. À l’aide de techniques telles que la gravure sur bois, la sérigraphie, le monotype et la photogravure elle explore la mémoire, l’appartenance et les liens avec le lieu. Andrea a obtenu son baccalauréat en Arts plastiques avec concentration en estampe de l’Université Concordia. Elle a depuis été invitée à travailler dans des ateliers d’estampe partout au Canada et à l’étranger, notamment au Centre Banff (Banff, AB), au Kala Art Institute (Berkeley, CA) et au Centre d’arts visuels Skaftfell (Seyðisfjörður, Islande). En 2020, son amour pour l’estampe l’a attirée à Sackville où elle travaille comme technicienne d’impression à l’Université Mount Allison.

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