Le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick est un organisme de financement des arts indépendant dont le mandat est prévu par la loi pour faciliter et promouvoir la création d’œuvres d’art et l’administration de programmes de financement pour les artistes professionnel.les de la province.
Coincée dans un bruyant embouteillage, une voiture prend feu. C’est une arrivée presque explosive à Yaoundé, capitale du Cameroun.
Retour en arrière. Mai 2014, je me rends au Festival TransAmérique (FTA) grâce au soutien de l’Association des théâtres francophones du Canada. C’est une initiative géniale et très stimulante! Je participe aux Rencontres internationales des jeunes créateurs et critiques des arts de la scène et pendant 10 jours je vis au rythme du festival avec 25 compagnons. Entre nous, la magie opère. On repart inspirés et curieux. Cette rencontre était trop courte et nous avons soif de nous retrouver…
Édouard, un Camerounais « rencontré » au FTA, m’écrit sur Facebook et m’invite à participer à la deuxième édition de son projet Contexthéâtral. Il s’agit d’un mois de résidence où des auteurs sont invités à venir travailler un texte déjà bien en chantier. Édouard a aimé l’extrait d’un vieux texte de fond de tiroir que j’avais présenté au groupe du festival, « Laura de Montréal ». Pendant le séjour, il y aura des discussions, un laboratoire avec des acteurs, des rencontres avec un comité d’étudiants qui liront nos textes, des périodes d’écritures et toutes sortes d’autres activités! Je dis oui immédiatement!
Dans l’avion, j’ai relu mon texte… Et j’ai eu peur.
Qu’est-ce qu’une histoire d’assimilation et de dominance culturelle, bourrée de régionalistes, allait bien dire à des Camerounais…? Quelle grave erreur…
J’avais oublié le diction : raconte bien ton village, tu deviendras universel.
Yaoundé a peu en commun avec « mon village », Shédiac au Nouveau-Brunswick. Ni avec Montréal où j’ai situé mon texte… Yaoundé est au cœur du Cameroun, entre le vert de la jungle, le rouge de la terre et le jaune des taxis bruyants… Marcher la rue principale du quartier de Titi-Garage demande énormément de concentration et du courage au moment de traverser. Il faut s’adapter au rythme de cette ville pour découvrir peu à peu ses bijoux. L’une de ses pierres précieuses est OTHNI (Objet théâtral non identifié): un centre d’artistes où on trouve des chambres pour des résidents et de nombreux espaces de création et/ou de représentation. C’était notre chez-nous. Le lieu existe depuis 5 ans par la volonté et le courage de son propriétaire, lui-même artiste de théâtre, et ses collaborateurs. Ils ne reçoivent aucune subvention et assument la location, l’entretien, etc.
Comme le dit si bien mon ami le plasticien Alioum Moussa, le combat de plusieurs artistes camerounais consiste à « bannir le pourquoi pour imposer le comment ». Créer dans l’absence de politique culturelle devient un acte politique vis-à-vis de soi-même. « Ici ou ailleurs » est une question qui s’impose pour plusieurs. D’ailleurs, chaque artiste à qui j’ai parlé a « une histoire d’horreur » avec le ministère de la Culture du Cameroun. Dossier « perdu », attente d’un financement promis depuis trois ans et j’en passe… On te raconte en rigolant, parce que c’est tout simplement absurde! Ça m’a fait apprécier les organismes que je connais, tel l’Association des théâtres francophones du Canada, qui joue un rôle véritable auprès des artistes et incarne une vision.
Autour d’une table, un Camerounais, un Espagnol Burkinabé, une Française, un Togolais et une Canadienne, lisent un texte en chiac et imaginent, chacun avec ses références, un tintamarre acadien. La discussion est tellement importante pour essayer de se rejoindre et assouvir la curiosité. Dans une rencontre avec un comité de jeunes lecteurs camerounais, un adolescent me met en garde contre le chiac qui appauvrit la belle langue française et pourrait avoir des effets néfastes sur la jeunesse; un peu comme le camfranglais chez lui. Un autre me demande si un fricot est une sorcellerie? L’Acadie prend d’autres noms… Celui de régions où des minorités sont repoussées à cause de leurs langues ou des duels entre groupes culturels… Oui, nous connaissons tous ces forces invisibles de domination, à la fois absurdes et tragiques, qui s’articulent dans les moindres recoins de la vie quotidienne partout dans le monde. On échappe difficilement à la comparaison. Mais aussi on se reconnaît dans le kongosa (potinage) des personnages de Laura et Catherine et leur rêve de devenir comédiennes à tout prix.
Édouard nous a concocté un intense programme d’activités et les jours passent trop vite. Des rencontres artistiques naissent des amitiés et des solidarités. J’apprends au sujet des chauves-souris, de l’amour et de la littérature africaine. J’apprends sur moi-même et ma capacité d’adaptation. Finalement, ma crainte dans l’avion se dissipe; je ne serai peut-être pas comprise, mais prenons le risque; essayons de comprendre ceux qui ne comprendront pas. Tout à coup, être artiste, « ce que je fais comme travail », et ce que je suis comme humaine, est mélangé dans une même bouillie.
Ce fut un cadeau de participer à Contexthéâtral. Le travail que nous avons fait ensemble est une graine plantée dans une terre métissée. Une terre qu’on a mi dans une bouteille pour la jeter à la mer. Je remercie particulièrement notre grand rassembleur, l’artiste passionné et engagé qu’est Édouard Elvis Bvouma, ainsi que toute son équipe (particulièrement Charlotte). Je remercie mes compagnons auteurs (Anaïs, Guy, Kokouvi, Luis) et nos chers amis à OTHNI. Merci aux partenaires qui ont facilité ma participation: l’ATFC, le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick et aux autres organismes partenaires de l’évènement notamment la CITF (Commission internationale du théâtre francophone). Je reviens le coeur plein de riches expériences humaines et professionnelles et la tête remplie de projets! Les artistes tentent de créer un monde meilleur pour tous et toutes. Ce sont des occasions de résidence comme celle-ci qui donne espoir que tout est possible
J’ai rencontré des artistes qui se livrent avec une grande générosité et se lancent vers toi sans hésiter. Ce furent de grandes leçons d’humilité où, à travers le parcours de ces artistes, j’ai mieux senti à quoi ressemble l’engagement et le risque en art.
Le risque le plus important, pour moi, pour la plupart d’entre nous au Canada, c’est celui de rater la rencontre. Et ça nous arrive de la rater; de ne pas réussir à se rejoindre. Mais nous continuons d’essayer.
Parce que c’est à travers la rencontre que tout arrive, que tout existe.
En tant qu’entité provinciale, le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick reconnaît qu’il effectue son travail sur le territoire traditionnel non cédé des peuples Wolastoqiyik, Mi’kmaq et Peskotomuhkati. Lisez la déclaration en entier ici.