in-between a circle and a vessel: Arctic Circle Residency Program – Julie Forgues

(Cet article a été traduit de l’original en anglais).

Mon plus grand rêve a toujours été de voyager au bout du monde, où le climat glacial transforme les esprits en vapeurs visibles, dans un pays nordique lointain où les glaces sont plus imposantes que les bâtiments, où la vue est infinie. Cette expédition, ce grand voyage, s’est finalement matérialisé en juin 2016 à Svalbard, Norvège, avec 26 autres artistes dans le cadre du programme Arctic Circle Residency.

[work in progress] in-between a circle and a vessel – landing III-I, 2016
Julie Forgues, [work in progress] in-between a circle and a vessel – landing III-I, 2016

En guise de préparation pour l’occasion, Baffin © me parraine avec une paire de bottes bien chaudes pour affronter les intempéries de l’Arctique. À l’approche du grand jour, je me rends compte, de plus en plus, que je vais en Arctique, que je serai sur un navire pour toute la durée de la résidence, un moyen de transport que je n’ai guère auparavant habité pour plus de quelques heures. Nerveuse, anxieuse, impatiente, cette expérience est simplement de l’ordre de l’irréel !

Pieds à l’aéroport de Longyearbyen, Svalbard, la ville la plus septentrionale du monde, je fais la connaissance de plusieurs autres des artistes résidents puisque nous sommes tous facilement repérables dans la foule des habitants locaux. La veille de notre départ vers le bout du monde, Sarah, la guide en chef, une artiste belge, nous présente les règles à suivre en mer et nous parle affectueusement de la grande dame : l’Antigua — le vaisseau que nous rencontrerons enfin le 13 juin. Nous sommes tous fébriles d’anticipation. Nous mettons pied sur cette galante créature qui deviendra notre domicile pour les jours à venir. Après les présentations du capitaine, de ses seconds capitaines, de l’équipage (Allemands et Hollandais), nous prenons finalement la route sur cette mer qui semble assoiffée de nous accueillir. Nous sommes tous éboulis par la beauté qui nous entoure ! L’Antigua coupe sa route à travers les eaux calmes. Après ce court spectacle, nous nous réunissons dans la « salle commune/salle à manger ». C’est alors que Sarah nous présente les trois autres guides, Sally, Kristin et Mari-Kristin en expliquant qu’à tout débarquement, elles sortiront avant le groupe afin d’étudier le danger sur les sites… le danger : des ours polaires ! Une fois qu’elles auront vérifié qu’aucun danger n’est posé, elles formeront un triangle que nous ne pourrons quitter en aucun cas. C’est alors que je prends conscience : Sarah vient de définir mon travail artistique pour cette résidence !

Pour cette résidence, j’avais proposé d’élaborer différentes étapes de ma recherche en cours de l’analyse des entre-deux afin d’élargir ma compréhension des « espaces » et des « places », et ce, par le photographique dans un contexte artistique. À la fin de l’expédition, mon but était de transformer des « espaces » en « places » par leur re/construction culturelle et artistique, et ce, en Arctique en questionnant surtout : comment créer une place en Arctique, là où personne ne vit? Est-il possible de créer des places qui n’existent que pour quelques heures, voire quelques minutes? Sarah venait donc de répondre à un certain questionnement : en établissant un triangle, les guides formaient des places où chaque artiste fabriquerait des idées/objets culturellement précieux.

Même si le jour se muait en nuit, nous restions tous cloués au pont pour ne rien rater, même pas une seule goutte d’eau glaciale qui semblait à la fois si impardonnable et si sympathique. La nuit est arrivée, mais n’est pas tombée, puisque le solstice d’été approchait à grands pas. C’est en partie pourquoi nous avons tant de difficulté à regagner nos lits, car lorsqu’il fait clair à toute heure de la journée, tout peut être vu, tout peut être capté… rien n’est caché par l’obscurité ! Je succombe finalement, et me laisse bercer par le mouvement du navire jusqu’au matin, où notre premier débarquement nous attend.

Julie Forgues, [work in progress] in-between a circle and a vessel – landing VI, 2016
Julie Forgues, [work in progress] in-between a circle and a vessel – landing VI, 2016

Une fois sur terre, le périmètre formé, nos processus créatifs respectifs se mettent en marche pour une période d’environ 2 à 3 heures. Il est fort intéressant d’observer chaque artiste s’emparer de ce nouveau type d’environnement avec ses propres yeux, pensées… et équipement. De mon côté, je me dirige vers Kristen. Il sera intéressant au fur et à mesure que l’expédition s’enchaine, de constater que chaque gardienne, comme nous, a aussi sa propre façon de vivre, de penser et d’évoluer dans chaque terrain. En m’approchant de Kristen, un autre élément de mon travail prend forme : ces femmes, ces femmes fortes, ces femmes gracieuses sont partie intégrante de notre « place » dans cette sphère arctique. Je choisis donc, et ce, lors de tout débarquement à venir, de capter chacune d’entre elles vue de dos, alors qu’elles regardent vers le terrain vaste, vers l’espace.

Par conséquent, cette toute première image définira la dernière composante clé de mon travail :

  • Moi, artiste, je capte la guide qui elle forme le triangle (ou le carré, selon les sites) en regardant vers le terrain vaste, l’espace.
  • Je, artiste, suis dans la place ; elle est à la frontière de la place et de l’espace.
  • Je capte une image en couleur de son dos regardant vers l’espace.
  • Cet espace pourrait également devenir une place.
  •  Je me dirige vers elle, à la limite, à la bordure, au lieu d’entre-deux. Je me positionne là où elle était. Je capte l’espace, en couleur et sur gélatine argentique.
  • Je note les coordonnées GPS de son emplacement, sachant très bien qu’un pas vers la droite ou vers la gauche modifiera, altéra la place et l’espace… elle, la guide, devient donc l’entre-deux.

Je marche lentement sur un terrain accidenté d’une guide à l’autre. Ce premier jour livre le ton de l’expédition, du moins pour moi et pour mon travail, car je suivrai la même méthodologie jour après jour. Il est intéressant de voir comment chaque guide, en me voyant à proximité, se retourne automatiquement pour me montrer son dos.

Il est aussi fascinant de marcher tout le terrain, et ce, à chaque débarquement. Ceci devient une forme de réflexion, à la fois interne et externe. Je réfléchis à mon travail tout en marchant, en voyant chaque artiste vivre et survivre au sein d’un même lieu : 27 individus travaillant individuellement vers une accumulation d’idées pour une même finalité — une œuvre d’art, un concept culturel de valeur. Par conséquent, tous ces endroits auront 27 couches différentes de constructions de valeur, tout en sachant que ces mêmes endroits survivront en tant que place par nos œuvres à venir.

En passant d’une guide à l’autre, d’un point à l’autre des frontières, je capte différents éléments qui charment mon regard, non pour mes recherches artistiques en soi, mais plutôt en tant que « touriste » sur un terrain où je ne remettrai probablement jamais les pieds. Je veux donc tout capter. Je reconnais que chaque image lèguera une trace invraisemblable sur mes souvenirs de ce lieu. Toutefois, je m’ordonne de regarder attentivement plutôt que de capter constamment. Je dois avant tout ressentir le lieu plutôt que chercher mes souvenirs par le biais d’images.

Le 27 juin, nous reprenons route vers Longyearbyen… avec nos cœurs laissés dans la mer, dans les eaux glaciales de l’Arctique.

[work in progress] in-between a circle and a vessel – landing VII-II, 2016
Julie Forgues, [work in progress] in-between a circle and a vessel – landing VII-II, 2016

Originaire de l’Ontario et vivant maintenant au Nouveau-Brunswick, Julie Forgues a obtenu son baccalauréat en beaux-arts à l’Université de Moncton en 1995 et sa maîtrise des beaux-arts studio dans la photographie à l’Université de Concordia en 1999. Entre les années 2002 et 2005, elle a terminé ses études et continue sa recherche dans le cadre du Doctorat en Études et Pratiques des Arts a l’UQÀM. Elle est un membre de la faculté du Département des arts visuels de l’Université de Moncton depuis 2000 en tant que professeure de photographie, et elle est aussi le chef du département depuis juillet 2016. Elle a montré individuellement ses œuvres à la Galerie Colline à Edmundston, N.-B. en 2014 et à la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen à Moncton en 2005. Ses œuvres ont été montrées dans les expositions de groupe, tels que la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen à Moncton et à la Galerie Beaverbrook à Fredericton. Elle a aussi participé à plusieurs programmes de résidence artistique en Chine, au Japon et en Arctique. À travers les années, elle a aussi montré ses œuvres à un niveau national en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et à un niveau international en Chine et au Japon. Julie participera à un programme de résidence artistique au renommé Swatch Art Peace Hotel à Shanghai d’août 2017 à février 2018. Elle considère son travail comme une image intermédiaire entre un espace et une place.

 

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