L’importance de rêver – Tara Audibert

L'importance de rêver – Tara Audibert(Cet article a été traduit de l’original en anglais).

Je suis une artiste multidisciplinaire Wolastoqikyik/canadienne, ainsi qu’une femme de la Renaissance qui travaille principalement dans les industries de l’animation, de la bande dessinée, de l’illustration et des beaux-arts, toutes dominées par les hommes. Je vis à Sunny Corner, au Nouveau-Brunswick, dans une petite maison située dans les bois, sur les rivages de la Miramichi Nord-Ouest. C’est aussi l’endroit où je travaille et d’où j’opère mon studio indépendant, Moxy Fox. Je suis une artiste depuis le jour où, à l’âge de 2 ans, ma mère m’a surprise en train de « défigurer » mon berceau pour poupée avec l’aide d’un marqueur permanent (je me rappelle clairement avoir pensé qu’il s’agissait d’une amélioration artistique)! Mais je gagne ma vie en créant de l’art depuis ces vingt dernières années, travaillant dans l’animation télévisée, enseignant, illustrant des bandes dessinées sur le thème des Premières Nations, et j’ai produit mon premier film indépendant L’importance de rêver en 2017.

J’aime tellement de disciplines artistiques différentes, et j’ai tout simplement envie de toutes les pratiquer! Quand j’étais très jeune, mes parents m’ont dit que je pouvais devenir tout ce que je pouvais imaginer. WOW! Imaginez toutes les possibilités. J’ai évalué les options, et je me suis rendue compte un après-midi qu’être une « Artiste » semblait très amusant! J’ai donc pratiqué l’art, BEAUCOUP! Mais quand est venu le temps de choisir mon « cheminement de carrière », mes parents ont changé leur discours: « Tu as entendu parler des artistes qui crèvent de faim, n’est-ce pas? Hé bien, si tu décides d’être une artiste, tu seras pauvre tout le temps… Et pourtant, tu aimes l’argent, non? » Oui, OH QUE OUI, j’aimais l’argent! Je ne voulais pas devenir pauvre et affamée! Et donc, cet après-midi-là, m’est venue l’idée de devenir une SCIENTIFIQUE! Ils gagnent beaucoup d’argent, et cela semblait un peu moins ennuyeux que les autres choix. Je pensais que je pourrais devenir biologiste de la vie marine et travailler à Sea World… Qu’Héra soit louée, cela ne s’est jamais produit: j’ai échoué plusieurs fois dans mes cours de calcul et de physique, si bien qu’un jour j’ai annoncé à mes parents que j’avais essayé de suivre leur voie, mais qu’il était temps de parcourir la mienne! Ma tante Gail m’a parlé d’un programme d’animation, et comme l’animation est diffusée à la télévision, il y avait là une solution à l’équation « art + argent »! J’ai fait partie de la seconde promotion à obtenir un diplôme de ce programme d’animation, et la seule femme de toute la promotion. J’ai continué à faire beaucoup de choses, et je crois toujours en la version originale de mes parents: On peut devenir  ce que l’on veut! Je pense qu’il y a ici un élément primordial, et c’est la partie « On veut ». Il faut le vouloir! Pas ce que quelqu’un veuille pour vous, mais ce que VOUS voulez pour vous-même.

Au cours de la dernière année, j’ai fait la promotion de mon premier court métrage d’animation intitulé L’importance de rêver, rendu possible grâce au soutien du Conseil des Arts du Canada et d’artsnb. Le film a remporté plusieurs prix, et j’ai eu l’honneur d’être invitée à Stuttgart, en Allemagne, au Indianer Inuit North American Film Festival 2018, où mon court métrage a remporté le Prix du meilleur film pour enfants de l’UNICEF, et où j’ai été conviée à prendre la parole devant des enseignants allemands d’école élémentaire au sujet de mon film, ainsi que l’éducation et les histoires des Premières Nations.

L’importance de rêver (2017)

L’histoire du film est très significative pour moi, car il s’agit d’une adaptation de l’histoire de ma mère et de mon père qui sont tombés amoureux dans les années 1970, lorsque la Loi sur les Indiens a supprimé les droits de toute femme épousant un non-autochtone. Elle a été contrainte de quitter la réserve, quitter sa famille et sa maison, et n’était pas autorisée à être enterrée dans une réserve après sa mort (les femmes non-autochtones qui se mariaient avec des hommes autochtones obtenaient ces droits). Ce film est l’allégorie d’un amour interdit entre un vieux harfang des neiges et un jeune renard roux.

L’expérience de faire ce film s’est avérée être particulièrement thérapeutique. Ce film parle également de l’endroit où je pensais que mon père, aujourd’hui décédé, se trouvait lorsqu’il n’était pas avec nous, vu qu’il était touché par la maladie d’Alzheimer. À mes yeux, il est à la fois réconfortant et logique de savoir que son esprit était toujours là, quelque part, peut-être même dans un endroit « magique ». Je voulais aussi explorer l’idée des légendes. D’où viennent-elles? Cette histoire m’a été racontée toute ma vie, elle est magique, et je crois qu’elle est digne d’être une « légende ». Je suis donc devenue celle qui transmet l’histoire, et sous ce format, je ne doute pas qu’elle sera transmise et répétée, encore et encore.

J’ai commencé à travailler dans l’animation pour les studios, travaillant ainsi sur les idées des autres et leur donnant vie. J’ai beaucoup appris, et cela m’a aidé à devenir l’artiste que je suis aujourd’hui; mais maintenant plus que jamais, je veux explorer et utiliser mes compétences pour mes propres idées! C’était l’objectif sur mon curriculum vitae. J’ai commencé à travailler dans l’animation pour les studios, travaillant ainsi sur les idées des autres et leur donnant vie. J’ai tellement appris, et cela m’a aidé à être l’artiste que je suis aujourd’hui, mais maintenant plus que jamais je veux explorer et utiliser mes compétences pour mes propres idées! C’était l’objectif de mon curriculum vitae. À l’époque où l’objectif était la première chose à mentionner sur son CV, le mien était « Travailler dans un environnement où je peux utiliser et améliorer mes compétences artistiques » (Pouah! Les CV sont les pires, non?). Hé bien, j’ai utilisé mes compétences artistiques pour le bénéfice des autres, et amélioré mes compétences, il est donc temps de passer à autre chose! Désormais, je veux utiliser mes compétences pour réaliser mes propres idées, et je me sens prête et confiante parce que j’ai atteint mon ancien objectif.

L’une de mes entreprises vient de lancer une application de conte autochtone appelée « Nitap », disponible sur Google Play et sur l’App Store. J’ai travaillé sur ce projet dans le cadre du Collectif Ni’gweg, un organisme à but non lucratif que j’ai fondé avec l’artiste Mi’kmaq Phyllis Grant et la conceptrice de jeux Kirsten Tomilson. Je suis très fière de ce projet car le jeu commence au Nouveau-Brunswick, et deux des histoires que j’ai animées sont racontées par ma mère Deborah Audibert, de la Première Nation de Tobique, et je peux partager ces histoires avec le monde entier!

À l’heure actuelle, j’explore des thèmes très précis dans mon travail, celui de la réconciliation, et je combine la culture des Premières nations avec la technologie et le divertissement dominants, aspirant à inclure les histoires et les idées de la culture autochtone dans la culture du Canada moderne.

J’ai aussi un message très spécifique à l’égard des filles et des femmes – vous pouvez faire et être TOUT ce dont vous avez envie! J’espère que grâce à mes actions, je pourrai servir de modèle pour les filles et les femmes des Premières Nations et pour toutes celles qui ne savent peut-être pas que les possibilités sont infinies! Je veux raconter des histoires qui permettent aux filles et aux femmes de s’émanciper, des histoires de succès, où tous les obstacles sont surmontés, peu importe les conséquences, afin qu’elles deviennent à leur tour des modèles à suivre!

Indianer Inuit North American Film Festival, Stuttgart, Allemagne, Janv. 2018. Lauréate du meilleur film pour enfants de l’UNICEF.

L’aspect le plus gratifiant de ma pratique est la capacité d’avoir mon propre style de vie. Je travaille désormais chez moi, et j’établis mon propre emploi du temps. J’ai des idées, et je peux leur donner vie. Bien sûr, j’exécute toujours des commandes et je travaille pour des clients, mais maintenant je peux choisir les projets qui m’accrochent, et j’ai la capacité de dire non, sans m’inquiéter de mourir de faim! J’ai un projet artistique qui est un enregistrement continu de mes courses quotidiennes: #runadayproject. C’est un peu un casse-tête, mais courir est le moment où j’effectue la majorité de mes réflexions, et il s’agit donc de LA chose la plus importante pour ma pratique artistique. Il m’est parfois difficile de trouver le temps pour faire cela, mais c’est alors que je résous certains problèmes, que je décide de la prochaine étape, et que je regarde aussi la nature et m’en inspire. Photographier mes courses est AUSSI un autre projet d’art que je crée en fonction du temps, je le fais depuis quatre ans maintenant, et j’ai réalisé en conséquence quatre documents vidéo. C’est donc le meilleur aspect de ma pratique: être multitâche avec une œuvre d’art en soi! J’aime l’efficacité.

Pour moi, le Nouveau-Brunswick est une partie très importante de ma vie. J’ai grandi ici, j’ai déménagé pour devenir adulte, puis je suis revenue pour être plus proche de ma famille après le décès de mon père. Ma famille me manquait bien sûr, mais le Nouveau-Brunswick a cette beauté qui la diffère des autres provinces: ses rochers, ses cascades, ses crosses de fougère et son arc-en-ciel de couleurs jaunes à rouges – unique par rapport au reste des Maritimes. Je suis peut-être subjective à cause d’un sentiment de proximité, mais on trouve ici une nature calme et stoïque, qui m’a inspiré pour mes films, mon application de jeu, et mon art en général – le Calme Sauvage!

 

Tara Audibert - BioTara Audibert est une artiste, cinéaste et développeuse de jeux wolastoqey avec 20 ans d’expérience dans l’animation, les jeux et la bande dessinée. Tara aspire à combiner l’art et la narration traditionnels des Premières Nations avec un design contemporain et des supports numériques. Elle a créé Moxy Fox Studio pour créer son premier film d’animation indépendant, « L’importance de rêver », sorti en 2017. Elle est partenaire du collectif Ni’gweg, un organisme à but non lucratif dédié à la collecte et au partage des histoires des Premières Nations. L’application de jeu de narration pilote « Nitap » a été lancée en avril 2018.

Vous pouvez suivre le travail de Tara sur son site Internet.

 

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