Le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick est un organisme de financement des arts indépendant dont le mandat est prévu par la loi pour faciliter et promouvoir la création d’œuvres d’art et l’administration de programmes de financement pour les artistes professionnel.les de la province.
Alors que Pointe-aux-Coques, le premier roman d’Antonine Maillet, paraissait en 1958, le recueil de poésie Silence à nourrir de sang de l’écrivain originaire de Moncton, Ronald Després, était lui aussi publié. La parution de ces deux œuvres marque le coup d’envoi de la modernité littéraire acadienne. Le parcours littéraire de Maillet est bien connu, mais celui de Després l’est aujourd’hui beaucoup moins. Pourtant, il nous offre une œuvre littéraire très forte qui mérite d’être revisitée.
Le Scalpel ininterrompu, le seul roman de Després, est le journal intime qu’écrit le Docteur Jan von Fries pour relater l’évolution de sa quête d’épanouissement personnel. Homme passionné de science, Von Fries se lance avec Miss Mesméra, son infâme acolyte, dans la pratique de la vivisection (dissection opérée sur un animal vivant) et souhaitera la pratiquer sur des humains. C’est son destin, sa raison d’être : trancher des corps d’hommes, de femmes et d’enfants à répétition. C’est une œuvre fracassante qu’on imagine mal avoir été publiée en 1962 par un acadien.
Si certains y voit une métaphore de la montée d’un régime totalitariste, ou encore du refoulement d’un comportement sexuel interdit, moi, j’y vois la monter de l’individualisme dans toute sa grandeur. Nous évoluons dans un monde où, idéalement, chacun est encouragé à s’épanouir sans que cela nuise à l’épanouissement individuel d’autrui. Et si on devait nuire aux autres afin d’être réellement ce que nous sommes destinés à être ? Le Scalpel Ininterrompu ne se veut certainement pas l’apologie des médecins tueurs en série, mais bien la célébration de l’épanouissement de l’individu à travers le récit de ce scientifique fou.
Alors, pourquoi vouloir en faire une adaptation théâtrale avec une bourse en création du Conseil des Arts du Nouveau-Brunswick ? Parce que Després nous laisse quelques indices qui suggèrent que son récit aurait d’abord été songé pour le théâtre. En premier lieu, il étiquette son livre « Sotie ». La sotie était, au Moyen-Âge, une farce satirique performée par des bouffons en toute impunité sur les places publiques. Du théâtre, donc. Ensuite, il y a la première phrase du livre : « Je relis Lorca. » qu’écrit Von Fries dans son journal. Il fait ensuite de nombreuses références à la pièce Les Noces de sang de Federico Garcia Lorca. Ce n’est pas anodin, car cette pièce suggère des clés de compréhension pour comprendre le personnage de Von Fries. Enfin, on retrouve beaucoup de dialogues entre les personnages qui ne sont pas sans rappeler la lecture d’une pièce de théâtre. Pour toutes ces raisons, et aussi parce qu’il n’existait pas de milieu théâtral professionnel en Acadie lorsque Després a écrit son œuvre, je me suis senti interpellé d’en faire une adaptation pour le théâtre.
C’est donc le pari que je prends. Cependant, il est impossible de respecter et d’être entièrement fidèle au roman. Mon processus de création et les judicieux conseils du dramaturge Louis-Dominique Lavigne m’ont permis de constater qu’il fallait faire des choix. Le roman, bien qu’il ne soit pas très volumineux, pourrait faire l’objet de deux adaptations théâtrales distinctes : la genèse de l’expérience de la vivisection pour le Docteur Von Fries, et la vivisection qu’il fait de l’Amérique entière par la suite. Je me suis concentré sur la première moitié du récit. Elle se passe en un lieu : la maison du docteur Von Fries, il y a un objectif clair pour le personnage principal : vivisequer un humain ; et un temps définis : à peu près une semaine. Les conditions pour faire migrer le récit vers le théâtre sont apparentes.
L’adaptation m’oblige à utiliser, moi aussi, le bistouri et à vivisequer, non pas l’humain, mais l’œuvre de Després. J’ai joué avec des lambeaux de textes éparpiller çà et là sur ma table de travail pour en faire une espèce de créature hybride présentable à une troupe de comédiens. Le travail ne s’arrête pas là, il ne vient que commencer. À suivre…
Xavier Lord-Giroux est originaire de Dieppe. Diplômé en art dramatique (Moncton 2013) il est actuellement candidat à la maîtrise en études littéraires à l’Université de Moncton. De 2016 à 2017, il a été président par intérim de la Société nationale de l’Acadie (SNA). Il mène une pratique professionnelle en théâtre et s’est fait connaître par le public pour l’écriture et la mise en scène de son texte Les préliminaires / Foreplay en 2018.
Publié mercredi septembre 25, 2019 par Réanne Cooper
En tant qu’entité provinciale, le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick reconnaît qu’il effectue son travail sur le territoire traditionnel non cédé des peuples Wolastoqiyik, Mi’kmaq et Peskotomuhkati. Lisez la déclaration en entier ici.