EXPLORER LA MASCULINITÉ TOXIQUE POUR OFFRIR BIENVEILLANCE ET EMPATHIE

Écrit par Ty Giffin

SÉRIE ARTISTE EN VEDTETTE ̶  TY GIFFIN

J’ai reçu une bourse de subvention du programme à la Création d’artsnb pour mon court-métrage Cicerone (intitulé à l’époque Ride Along) en mars 2020. Notre production a donc été retardée à plusieurs reprises en raison de la COVID-19. Pendant ce temps d’accalmie, j’ai également reçu le prix Short Film Venture de la NB Film Co-op, de Téléfilm Canada et de la province du Nouveau-Brunswick. Cela a donc fait de Cicerone le plus grand projet que j’ai jamais produit.  Bien que cela m’ait mis beaucoup de pression, cela m’a aussi libéré sur le plan créatif à bien des égards, et nous a permis de payer notre équipe et nos collaborateurs. Nous sommes finalement entrés en production en septembre 2021, et la post-production s’est achevée en mai 2022. Ce fut un long voyage, plein de peines et de joies, et j’ai hâte de le refaire.

Crédit photo: Desmond Simon

L’art est important pour comprendre notre vie et le monde qui nous entoure. Il nous permet de réfléchir et de guérir, d’établir des liens et de nous rapprocher les uns des autres. Plus important encore, je pense qu’il élargit notre esprit et qu’il développe la compassion et la communauté.

Avec ce projet, je voulais explorer le thème de la masculinité toxique, la façon dont les mythes de la masculinité sont formés et maintenus par le cinéma de genre; la façon dont les codes de masculinité contribuent à une culture de la domination et de la brutalité; la fascination et l’idolâtrie des hommes violents; pour finalement choisir la sensibilité au lieu de la cruauté. En gros, « et si un type qui pleure faisait un film de dur à cuire ? ».

Quand j’ai commencé à écrire le scénario, je voulais surtout réaliser un film de gangsters. J’y ai ajouté mes éléments préférés du genre, des images que j’aimais, un rebondissement ici et là, mais ça semblait impersonnel. Tout au long du processus d’écriture, j’ai réalisé que je devais trouver pourquoi je me sentais obligé de raconter cette histoire. Cela a commencé par la question : qu’est-ce qui me fascine tant chez les gangsters ? Il y a une bravade enivrante dans les films de gangsters, l’idée de faire ce que l’on veut, quel qu’en soit le coût. Mais c’est le coût qui m’attire, je pense; le coût humain, la vente de son âme pour la richesse.

Dans le film, le protagoniste présente son scénario comme la rencontre entre Melville et Bergman, et c’est (je l’espère) ce que mon propre scénario est devenu : l’allure cool du film Le Samourai avec l’introspection existentielle de Winter Light. Je pense que le fait de trouver ma voix créative m’a vraiment aidé à grandir en tant qu’artiste. J’ai l’impression d’avoir mis une partie de moi-même dans ce scénario de façon beaucoup plus profonde et je me sens beaucoup plus sûr de la façon dont je me vois en tant qu’artiste. J’ai commencé par vouloir faire quelque chose de tout simplement cool et j’ai fini par plaider pour un monde avec plus d’empathie et de bienveillance.

Je pense qu’en commençant à faire des films, j’ai eu du mal à trouver ma voix, la raison de mon besoin de raconter une histoire. Mais souvent, cette voix, elle me trouvait. Mes sensibilités et ma personnalité transparaissaient toujours d’une manière ou d’une autre. Pour l’avenir, j’ai l’impression que je dois simplement écrire honnêtement et m’investir pleinement dans mon travail, même si je me sens vulnérable, car l’art en sera beaucoup plus riche.

Crédit photo: Desmond Simon

J’ai toujours trouvé que les constructions/règles/normes de genre étaient fascinantes. Mon dernier film, Sister’s Dirge (https://vimeo.com/371973966), était une exploration du genre western, de ses représentations de la violence et de la question de savoir qui devait être le héros. Ce projet portait sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et les thèmes de la masculinité toxique et de la violence masculine étaient donc au premier plan. Pour moi, c’est très personnel : j’ai grandi en tant que garçon (je faisais du sport, j’allais à l’école, je regardais des films) et il y avait souvent un courant de violence omniprésent. Nous devons accepter le fait que les traits de caractère que la société a codés comme « masculins » sont souvent propices à la violence. Lorsque nous apprenons aux jeunes garçons à refouler leurs sentiments et à valoriser la force et la domination par-dessus tout, nous créons un baril de poudre, inévitablement voué à la violence. À travers mon art, j’ai donc essayé de briser les mythes de la masculinité et de poser les questions suivantes : « Qu’est-ce qu’un homme bon ? », « Suis-je un homme bon ? », « Comment puis-je faire partie de la solution ? » et, plus généralement, apporter dans le monde un peu d’empathie et de bienveillance.

J’ai trouvé très gratifiant d’utiliser l’art pour poser une question et d’en apprendre un peu plus sur moi-même en cours de route. L’aspect de la collaboration dans la réalisation d’un film est particulièrement gratifiant. J’ai travaillé avec tant de personnes merveilleuses et talentueuses sur ce projet, et chacune d’entre elles a apporté ses idées uniques, ce qui a vraiment donné vie au projet. La collaboration fait partie intégrante de mon travail de cinéaste. Elle est présente tout au long du processus : au tout début, lors des séances de remue-méninges et des ateliers d’écriture, et à la production, elle joue un rôle énorme, peut-être même le plus important. La réussite du film dépend des personnes dont vous vous entourez. J’ai eu la chance de travailler avec des personnes brillantes et talentueuses qui ont apporté leurs compétences et leurs sensibilités uniques au projet. La conception des costumes, la conception de la production, le maquillage et les effets spéciaux, le son, la caméra, tous ces éléments jouent un rôle majeur dans le grand projet. Le travail avec les acteurs est également un élément de collaboration important, car ils apportent leurs expériences de vie et leurs propres idées aux personnages.

Crédit photo: Desmond Simon

La post-production est l’endroit où je trouve le plus de possibilités de collaboration interdisciplinaire. J’ai eu la chance de travailler avec le compositeur Zachary Greer qui a élaboré la bande sonore. Cette collaboration entre disciplines a été très enrichissante et fructueuse. La bande sonore de Zachary donne le ton, ajoute à l’ambiance et complète vraiment l’image, et travailler avec lui sur des sons expérimentaux a été un vrai plaisir. Même si le son fait partie du domaine du cinéma, c’est un métier à part entière, et travailler avec Bruce LeGrow au mixage a aussi été une autre collaboration fructueuse. Le son est aussi important que l’image, et il a pu insuffler une nouvelle vie au montage, aider à raconter l’histoire et contribuer à l’ambiance et au ton.

Enfin, j’ai collaboré avec le graphiste Jesse Giffin (mon frère aîné) pour l’affiche. Cette collaboration interdisciplinaire a été la cerise sur le gâteau, et la merveilleuse affiche qu’il a créée est la représentation ultime du film, qui permettra de le commercialiser et, espérons-le, d’attirer les spectateurs. Au bout du compte, c’est un travail d’équipe. Le film n’aurait pas pu voir le jour sans l’incroyable équipe de tournage, et nous avons tous été en mesure de mettre une petite partie de nous-mêmes dans ce travail.

L’art est important pour comprendre notre vie et le monde qui nous entoure. Il nous permet de réfléchir et de guérir, d’établir des liens et de nous rapprocher les uns des autres. Plus important encore, je pense qu’il élargit notre esprit et qu’il développe la compassion et la communauté. Je pense que le Nouveau-Brunswick pourrait avoir besoin de ces choses comme n’importe où ailleurs, surtout en ces temps difficiles et tumultueux. Nous pouvons nous unir pour créer au lieu de détruire.

Je crois que le plus grand défi pour les artistes du Nouveau-Brunswick est de se démarquer des grandes industries de Toronto et de Vancouver, mais je pense aussi que c’est notre plus grand avantage. Nous sommes un groupe d’artistes petit mais puissant, et cet esprit d’indépendance farouche nous permet de repousser les limites de nos formes d’art au-delà de ce qui est possible ailleurs. Je suis très enthousiaste à l’égard de ce qui se passe au Nouveau-Brunswick, surtout dans le domaine du cinéma.

Actuellement, j’ai quelques scripts en cours de développement, mais je travaille surtout à la distribution de Cicerone. Je suis très enthousiaste à l’idée de le projeter dans des festivals et, je l’espère, de voyager avec lui. Je travaille également à l’étalonnage du long métrage de Ry O’Toole, Further than the Eye can See, et je suis très enthousiaste quant au look que nous avons créé. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de la texture poppy que nous avons conçue !


Ty Giffin est un cinéaste basé à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Il travaille comme vidéographe aux Services médiatiques de UNB. Il a deux chats et une compagne, lesquels il adore.

Crédit photo: Lance Kenneth Blakney

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